A LA MEMOIRE DE JEAN ZAY Le 16 JUIN 1994
Discours prononcé par Monsieur P.L. EMERY, professeur d’histoire au Lycée Jean ZAY à Orléans, lors de l’inauguration de la nouvelle plaque dédiée à Jean ZAY dans le hall du lycée.
Le vingt juin 1944, Jean ZAY, député d’Orléans, ancien ministre de l’éducation nationale, condamné et incarcéré à RIOM par le régime de Vichy, était assassiné par trois miliciens (Develle, Milou et Maret), près de CUSSET dans l’Allier.
En 1954 était posée une plaque commémorative dans le hall du collège moderne et technique, devenu depuis lycée Jean ZAY. L’inscription se terminait par » victime de la barbarie nazie… mort pour la France »
Cette formulation ne désignant pas clairement les vrais responsables de l’assassinat, s’est avérée, au fil du temps, de plus en plus choquante, tant pour la famille de Jean ZAY que pour la vérité historique.
Nous sommes réunis aujourd’hui pour célébrer la mémoire de Jean ZAY et, par ce changement de plaque, exposer les faits avec plus de précision.
Car qui était Jean ZAY, pourquoi, et par qui a-t-il été assassiné, pourquoi fallait-il après tant d’années changer cette plaque ?
Léon ZAY, son père, d’origine juive alsacienne et dont la famille avait choisi la France et Orléans en 1871, était rédacteur en chef du journal » Le Progrès du Loiret » devenu ensuite » La France du Centre « . Sa mère était institutrice et protestante. Jean ZAY, excellent élève, boursier, rejoint très tôt les « jeunesses laïques et républicaines », lors de ses études au lycée Pothier.
Avec quelques amis il participe à la rédaction du « Grenier « , revue littéraire orléanaise. Pendant ses études de droit il travaille comme journaliste à » La France du Centre « . Il adhère au parti radical. Il se situe à l’aile gauche, favorable à l’alliance avec les socialistes, tout comme ses futurs collègues, qu’on appela les » jeunes turcs « , Pierre COT, Pierre MENDES-FRANCE…
Bon orateur, il est remarqué dans la loge maçonnique Etienne Dolet, du Grand Orient de France. Ses engagements politiques le détournent d’une carrière d’avocat qui s’annonçait pourtant brillante. A 27 ans, en 1932, il est élu député d’Orléans. Son ascension politique est fulgurante.
Nommé sous-secrétaire d’Etat dans le gouvernement du radical Albert SARRAULT, de janvier à juin 1936, il est réélu député de la première circonscription du Loiret en mai 1936, malgré une campagne haineuse où l’antisémitisme tient une grande part, venant tant de ses adversaires politiques que d’une large fraction de la presse locale.
Léon BLUM président du conseil socialiste du Front Populaire le prend dans son gouvernement à 31 ans, plus jeune ministre de la IIIème République, en charge de l’Education Nationale ainsi que de la politique culturelle de la France Jean ZAY est déjà passionné par ces questions et reste trois ans à ce poste. Il sait s’entourer d’amis de toujours et de compétences remarquables tels que Marcel ABRAHAM, Jean PERRIN, Jean CASSOU, qui inspirent, appuient ou organisent son action politique. Il reçoit les encouragements de Léon BLUM lui-même et reprend des projets portés par divers courants politiques et syndicaux de la gauche.
C’est ainsi qu’après Jules FERRY, on peut considérer Jean ZAY comme le refondateur de l’école de. la République.
Il poursuit deux objectifs complémentaires face à la montée, en effectifs, des jeunes à scolariser. Il veut d’abord ouvrir davantage l’école tant par l’extension des bourses et leur augmentation que par ce que nous appellerions aujourd’hui, la rénovation pédagogique.
Il veut ensuite dépasser l’étape des pères fondateurs et de « l’élitisme républicain » pour aller, par le rapprochement des différentes filières, vers l’école unique, la démocratisation.
Sans appui réel au Parlement, y compris dans son propre parti, et faute de pouvoir faire voter une réforme globale, il doit procéder par textes réglementaires et expériences locales.
Ce faisant, on peut affirmer qu’il établit ainsi les bases de l’école de l’après guerre et de l’essentiel des réformes pendant trente ans.
Son action est tout aussi déterminante dans les domaines culturel, scientifique, sportif pour lesquels nous avons tous des exemples en tête.
Dans ces conditions, comment expliquer l’assassinat, comme le disait Antoine PROST en 1982, commis » contre un Français, par d’autres Français » ?
Quoique pacifiste, Jean ZAY était d’abord antifasciste, partisan de la fermeté face à HITLER, favorable à l’aide à l’Espagne républicaine, opposé aux accords de Munich. Discret sur ces désaccords, en public, il décide, encouragé par Léon BLUM de poursuivre son action à l’Education Nationale.
Dès le début de la guerre, en septembre 1939, il démissionne de son poste de Ministre et revêt l’uniforme. Son comportement comme sous-lieutenant fut loué par ses chefs lorsqu’ils témoignèrent devant les juges militaires qui l’accusaient de désertion !
En effet, lors de la débâcle, autorisé par le Colonel POINTOU à faire, comme il l’écrivit, « mouvement libre » il apprend la convocation des parlementaires à Bordeaux. Il s’y rend, prenant sa famille en route. Opposé à l’armistice, il embarque le 20 juin 1940 avec 27 autres parlementaires sur le paquebot Massilia pour Casablanca, affrété par le gouvernement et sur ordre de l’Amiral DARLAN. En toute légalité, avec les autorisations nécessaires. Il compte ainsi, tout comme DALADIER, DELBOS, MANDEL, MENDES-France, PISANI… poursuivre la lutte à partir de l’Afrique du Nord où doit également se rendre, de son côté, le gouvernement. En fait un piège se referme. L’affaire commence, le mythe des prétendus fuyards du Massilia se construit, parfois encore repris de nos jours. Les calomnies ont la vie dure !
Le camp des défaitistes, que dénonçait Paul REYNAUD avant sa démission du 16 juin, lance une campagne de presse contre ceux qu’il accuse d’avoir déclenché la guerre et qui voudraient la poursuivre. On trouve parmi eux Jean PROUVOST du FIGARO, Philippe HENRIOT de GRINGOIRE. L’hostilité des autorités françaises au Maroc est manifeste. La venue au monde d’Hélène, la seconde fille de Jean ZAY, en est compliquée. Le gouvernement, craignant l’influence de ces parlementaires, empêche leur retour en métropole afin de faciliter le vote de confiance à PETAIN le 10 juillet à Vichy et le changement de régime qui s’ensuit. Jean ZAY est arrêté au Maroc le 16 août 1940, inculpé de désertion… Le lendemain de la signature par PETAIN de la première loi anti-juive, il est condamné, le 4 octobre 1940 à la déportation à vie. Le verdict, signé d’avance, est rendu après six minutes seulement de délibération ! Ses coïnculpés, devant ce tribunal militaire de Clermont-Ferrand bénéficient, pour WILTZER, du non-lieu, pour VIENOT de 8 ans avec sursis. Mais ils ne sont pas juifs ! Pierre MENDES-FRANCE, lui, est condamné à six ans de prison ferme. Il va sans dire, et le jugement de réhabilitation de 1945 le confirme, que l’inculpation de désertion était politique et dénuée de tout fondement. Ce sont, en fait, les premiers résistants, parlementaires et partisans du Front Populaire qu’on a voulu briser.
Incarcéré au bout de quelques mois à RIOM, Jean ZAY bénéficie pendant presque deux ans du statut politique et peut recevoir famille, amis, et communiquer grâce à Jean CASSOU et Marcel ABRAHAM avec la résistance organisée. Durant cette période et jusqu’en 1943, il rédige, parmi d’autres ouvrages, ce beau livre » Souvenirs et Solitude » où il expose ses réflexions et ses analyses. C’est aussi une belle oeuvre littéraire. Le 19 juin 1944 il écrit à sa femme Madeleine une lettre pleine d’espoir. La libération de la France a commencé, il est jeune, quarante ans, son avenir politique ne peut être que brillant. ..
Et voici que brutalement le 20 juin, trois miliciens viennent le chercher pour un faux transfert, l’assassinent et font disparaître son corps.
Le 5 juillet 1945, le tribunal militaire de Clermont-Ferrand le réhabilite. On célèbre sa mémoire au Parlement, à Orléans. Son corps n’est découvert et identifié qu’en 1946. Il est enfin inhumé à Orléans en 1948.
Sa veuve, Madeleine Jean ZAY se bat pour que son souvenir ne s’estompe pas. Elle écrit au juge MONGIBAUX chargé du procès PETAIN en 1945. Celui-ci refuse de lire en audience cette lettre où elle dénonce la responsabilité du gouvernement de Vichy dans l’assassinat de son mari. Il la trouve, je cite, » passionnée et sentimentale » et » ne veut pas se laisser impressionner par des cris de vengeance et de représailles « . Fin de citation.
En 1948, l’un des assassins, DEVELLE, est arrêté après une longue traque et ramené en France. Il est traduit devant un tribunal militaire, de sorte que Madeleine Jean ZAY ne peut se porter partie civile. La loi d’amnistie pour les crimes de collaboration est votée mais DEVELLE, après une longue bataille de procédure sauve sa tête au grand étonnement de tous. Il est condamné en 1953 aux travaux forcés à perpétuité et probablement libéré depuis longtemps.
Par la suite, Orléans, sa ville qu’il aimait tant semble, un peu, l’oublier. Une école porte son nom, l’ancienne EPS devenue lycée (Jean Zay) également et c’est la partie collège qui garde le nom de Jeanne d’Arc, ce qui ne manque pas de piquant ! Il aura fallu attendre 1994 pour qu’une avenue porte son nom !
Et puis pourquoi ces formulations incomplètes et ambiguës sur les plaques commémoratives ? Pourquoi les changer maintenant, car cela ne concerne pas notre seul lycée. On peut lire ainsi :
– Rue de Grenelle (au ministère de l’ E.N.) » Assassiné par les complices de l’ennemi « .
– A l’école des Charretiers, comme sur sa tombe au cimetière à Orléans : « Assassiné par les ennemis de la France »
– Ici même on pouvait lire » victime de la barbarie nazie »
L’ambiguïté est gênante et les faits sont pourtant simples. Jean ZAY a été assassiné par trois miliciens, sur ordre de leur supérieur. L’administration pénitentiaire a donné son accord au faux transfert. Le chef de la milice, Joseph DARNAND est ministre du maintien de l’ordre du gouvernement de Vichy.
Alors pourquoi de telles formulations ?
A la libération, des gaullistes aux communistes, on veut reconstruire le pays. Il faut rassembler et mobiliser tous les Français dans ces temps difficiles.
Si Vichy et la milice sont assimilés à l’ennemi c’est, certes, par proximité idéologique. Mais il faut surtout établir, aux yeux des alliés d’abord, et des Français eux-mêmes, le mythe d’une France unie dans la résistance au nazisme. Pourtant cette période fut aussi celle d’une guerre civile entre Français, entre la République et ses ennemis.
Evoquer les responsabilités dans la défaite, les conditions de l’arrivée au pouvoir de PETAIN et de LAVAL, la nature de ce régime, semble alors dangereux, inopportun, prématuré.
Cinquante ans plus tard, nous pouvons sereinement faire le point.
Si les historiens, les hommes politiques, les citoyens peuvent expliquer des faits, des événements, apporter des commentaires qui différent avec le temps, si l’appréciation portée en 1954, en 1994 et plus tard peut évoluer, les faits, eux, ne changent pas.
L’érosion du temps sur la mémoire est un danger surtout si elle se fonde sur des faits incomplets. On ne peut écrire l’Histoire dans la confusion. Les responsables restent, les victimes n’ont pas à être oubliées.
Ce n’est pas seulement parce que des évènements, des mouvements en Europe, le procès TOUVIER à Lyon nous rappellent, comme disait BRECHT que » Le ventre est encore fécond d’où est sortie la bête immonde « , mais parce qu’il faut tout simplement que la vérité historique soit clairement établie qu’il faut changer la formulation de la plaque.
L’évaluation de l’importance des faits, des hommes, des actes peut changer. Leurs déroulements tragiques ou glorieux restent ce qu’ils ont été.
Nous en faisons une question de principe et de rigueur intellectuelle. Nous le devons aux victimes, nous le devons aussi à nos élèves, futurs citoyens, aux générations à venir.
C’est notre crédibilité qui est en jeu. Dans d’autres pays, actuellement, ou dans d’autres temps, on a voulu écrire une histoire » officielle « , une vérité d’Etat ou consensuelle. On ne peut pas davantage occulter telle ou telle période dérangeante. Il en va de la santé démocratique du pays.
Nous sommes particulièrement fiers de travailler dans ce lycée, portant ce patronyme riche de sens et d’histoire : Jean ZAY. Une vingtaine d’établissements seulement, partagent ce privilège.
Nos élèves, après le travail mené cette année savent désormais que le martyre qu’il a subi était l’œuvre d’hommes qui ne supportaient pas de voir libre et promu à un avenir brillant celui qui symbolisait la pensée libre, la jeunesse, la résistance de la première heure, l’intelligence et la culture, l’école laïque et la République, celui qui, si jeune, avait déjà une carrure d’homme d’Etat.
Pour eux, comme pour nous, il est, il sera une référence.