« On examinera d’abord quelques éléments spécifiques du concept de laïcité en tant que principe fondamental de l’association politique, par opposition au régime de tolérance en vigueur dans d’autres États de droit. Non seulement, la laïcité garantit la liberté des cultes, mais elle assure, plus largement, la liberté de conscience ; non seulement elle suppose la séparation des églises et de l’État, mais le lien politique qu’elle installe ne doit rien à un modèle extérieur – qu’il soit religieux, ethnique ou coutumier. On distinguera ensuite principe et régime de laïcité : le régime de laïcité articule le principe proprement dit d’abstention (valide dans le domaine de l’autorité publique) et le principe de libre manifestation (valide dans la société civile). On en déduira deux dérives symétriques qui, bien qu’opposées, fonctionnent selon une même structure et faussent le concept de laïcité : la laïcité « adjectivée » et l’extrémisme laïque.
Ce parcours permettra d’éclairer des questions actuelles qu’on évoquera – notamment les définitions du communautarisme, la question du financement des lieux de culte, celle de la laïcité scolaire, sans oublier quelques « fausses questions laïques ». On terminera par quelques considérations sur la notion d’intégration. On en conclura que ce qu’on appelle improprement le « vivre-ensemble » a pour condition la possibilité du « vivre séparé ».
Catherine Kintzler a enseigné la philosophie en lycée de 1970 à 1992. De 1992 à 2007, elle a enseigné la philosophie générale et l’esthétique à l’université de Lille III.
En novembre 1989, à l’époque des débats sur le voile islamique à l’école, elle a publié une tribune dans Le Nouvel Observateur, aux côtés de philosophes de renom.
De 1989 à 1995, elle a été directrice de programme au Collège international de philosophie.
Elle est vice-présidente de la Société française de philosophie.
Elle prend régulièrement position en faveur de la laïcité d’un point de vue républicain — c’est-à-dire à la fois attaché au principe de liberté de conscience et à la neutralité de l’État en matière de convictions spirituelles ou philosophiques. Si, à titre personnel, elle se dit opposée au voile islamique3, elle se défend d’en prôner l’interdiction, tant que ce signe n’est pas considéré légalement comme une marque de discrimination4.
Elle a bâti une critique du syntagme de « laïcité positive », employé par le président Nicolas Sarkozy dans plusieurs de ses discours : « Cette expression vide le concept de laïcité de son sens, puisque la définition de la laïcité est forcément négative et minimaliste. La laïcité, c’est dire qu’il n’est pas nécessaire de croire en quoi que ce soit pour fonder le lien politique5. » Cette négativité, entendue comme minimalisme du point de vue du contenu doctrinal, a pour conséquence une maximisation des libertés, ce qu’elle formule en ces termes: « c’est précisément par son minimalisme que le principe de laïcité est producteur, positivement c’est-à-dire du point de vue du droit positif, de libertés concrètes. […] Il n’y a […] rien de plus positif que la laïcité. Elle pose bien plus de libertés politiques et juridiques que ne l’a jamais fait aucune religion. […] Quelle religion a institutionnalisé la liberté de croyance et d’incroyance6 ? » En février 2008, Libération a fait paraître un texte intitulé « Sauver la laïcité », signé par un groupe d’intellectuels dont elle fait partie ; on y lit que le président de la République fait « une remise en cause violente et globale » de la laïcité, menant « l’offensive avec la plus grande brutalité ».